Y’a personne?

y'a personne RUE

(Anybody here? / Ist da wer?)

de Christophe Cupelin

documentaire – 2002 – 14 min. – parlé français
avec sous-titres allemand et anglais

Générique

réalisation, caméra, montage: Christophe Cupelin
son: Evariste Quédraogo
mixage: Adrien Kessler

« Si il y a injustice, c’est qu’il y a oppression. Et si il y a oppression, il y a des positions dominantes dans la société, il y a des gens qui oppriment d’autres. Et pour qu’il y ait en fait justice, il faut que les opprimés se soulèvent contre les oppresseurs. Ca c’est une solution, mais par la violence on peut pas instaurer la justice comme ça. Parce que ceux qui ont instauré la justice par la violence, au fur et à mesure, eux aussi ils vont créer une injustice ». Boureima Diallo

« If there’s injustice, there’s oppression. And if there’s oppression there are dominant positions in society. There are people oppressing others. And with these people, for justice to be done, the oppressed must rise against the oppressors. If you want justice, this is the solution. But with violence, you can’t bring justice, the ones who try will gradually only create injustice ». Boureima Diallo

Production et distribution

production, distribution, droits mondiaux: Christophe Cupelin

Formats de diffusion

Beta SP (4/3, mono)
Beta SP (4/3, mono, s.-t. anglais)
Beta SP (4/3, mono, s.-t. allemand)

Synopsis

A Ouagadougou au Burkina Faso, Boureima Diallo est un jeune étudiant africain qui participe à un stage sur le jeu du clown. Victime de la poliomyélite durant son enfance, il nous transmet un « message de justice » à travers une recherche de son propre clown.

In Ouagadougou (Burkina Faso) nimmt der junge afrikanische Boureima Diallo an einem Stage für das Clownspiel teil. Nachdem er in seiner Jugend an Kinderlähmung gelitten hat, versucht er nun, uns auf seiner Suche nach seinem eigenen inneren Clown eine «Botschaft der Gerechrigkeit» zu übermitteln.

In Ouagadougou in Burkina Faso, Boureima Diallo is a youg african student, who takes part in workshop on the clown technique. Handicaped with poliomyelitis since his childhood, he attempts, through a search for his « inner » clown, to give out a « message of justice ».

« L’Adieu au corps » de B. Tappolet

Quelle aubaine ! Un corps étrange, difforme, semblable aux effigies allongées, tirées, creusées d’Alberto Giacometti. En quoi consiste ce corps d’un aspirant clown burkinabé ? Ce corps de l’acteur où l’énergie physique et l’énergie psychique vont presque s’annuler l’une l’autre, tant ce « corps fictif » du clown auquel tend le jeune Burkinabé semble inaccessible au tragique et au handicap qui le suspendent. Quel corps va là ? Y’ a personne ! Ou alors trop de rêves de corps se bousculent en Boureima Diallo : le futur prédicateur brûlé de l’intérieur par une foi désordonnée et martelée par des paroles en boucle, le clown impossible coincé dans un corps qui ne se maîtrise plus, le griot conteur qui parle par images, l’handicapé marginalisé par les stigmates de sa poliomyélite d’enfance…

Le mérite de Y’ a personne est bien de nous dévoiler que le corps n’est pas qu’une machine physique, mais aussi le carrefour où se rencontrent le réel et l’imaginaire, le concret et l’abstrait, le physique et le mental. Si l’un des principes à travers le corps de l’acteur révèle sa vie au spectateur, réside donc en une tension entre forces et aspirations opposées, alors Christophe Cupelin en apporte ici une pertinente démonstration imagée. Qui s’efforce de retrouver et de capter un patrimoine gestuel enfoui, dont le corps en berne, disloqué de Boureima Diallo serait le dépositaire. Et cette conviction qui hante littéralement le film que l’expérience et sa représentation directe sont souvent incompatibles.

De techniques d’intervention théâtrale fondées sur une idéologie révolutionnaire et un activisme politique connus sous le nom de « théâtre de l’opprimé », ne subsistent ici que des fantômes laissant surnager une humanité sensible et fraternelle. Très vite, Boureima s’enfonce dans une histoire sans retour. Peut-être parce qu’il ne sait pas « jouer » au sens de tracer une limite et d’être capable de cadrer ce qu’il donne de lui-même. Quand il répète sa scène où il scande sans fin un « Y’ a personne ? » inquiet et provocateur tout à la fois, avec une véhémence qui fait peur, comme lorsqu’on joue entre enfants un jeu de rôles et qu’on se demande si l’autre n’y croit pas trop.

Saisi au grand angle même dans les plans rapprochés, il est question dans ce grand jeu d’une tentation de clown qui tourne mal parce qu’il ne sait pas ou ne peut pas mettre un cadre. Témoin, cette caméra mouvante cahotant des plans subjectifs, et qui parfois fonctionnent tout seuls, avec un personnage qui se fond dans le noir. Y’ a personne…

Bertrand Tappolet, © B. T. 2002

Entretien avec le réalisateur

Quel a été votre désir de départ en tournant “ Y a personne ”?

Christophe Cupelin : Etre témoin avec le filtre de ma caméra d’une expérience théâtrale durant un Festival consacré à cet art vivant de la scène. Expérience qui est aussi celle de la rencontre. Rencontre de comédiens burkinabés et du Bazart Théâtre, une compagnie helvétique qui explore la pratique du théâtre de participation depuis quelques années.

Si, pour Alain Resnais, un seul temps existe, le temps de la rencontre, comment s’est-elle déroulée avec cette troupe suisse?

Aux yeux d’Anne-Claude et de Marion, les deux chevilles ouvrières de cette compagnie, il s’agissait initialement de garder la trace de leur passage au sein du Festival de Ouagadougou. Au fil du tournage, j’ai néanmoins eu carte blanche pour m’écarter de ce sujet originel et de leurs personnes, dans le dessin de concentrer pleinement mon regard sur l’un des participants au stage d’atelier de clown mis sur pied et animé par le Bazart Théâtre.

Quels sont les éléments qui vous ont attiré chez cette personne au parcours si singulier?

Assurément, la démarche de Boureima Diallo, tant physique qu’intellectuelle, m’a intrigué et intéressé. A mon sens, son corps n’est pas fait pour le théâtre, pour le jeu du clown. Comment cette personne entravée au départ par un lourd handicap physique et une difficulté avouée d’intégration au sein de la société, allait-t-elle tirer son épingle du jeu, à la vie comme à la scène ?

Le clown est, pour un comédien tel que Jango Edwards, une manière de découvrir maints aspects de sa personnalité, de naître à soi-même.

Oui, il s’agit bien ici d’une naissance, au sens d’une découverte. Et ce, au cœur d’un espace peu approprié à l’art théâtral, constitué par un stade de football.

L’identité d’un lieu ou d’une personne semble centrale dans votre film.

Oui, le film est traversé par cette volonté de situer un lieu, une action ou un personnage par des éléments signalétiques trouvés sur place. Le spectateur peut d’ailleurs difficilement s’identifier à une figure issue de l’un des pays les plus déshérités de la planète. C’est en partant notamment de cette difficulté de dire, à qui l’on à faire, où l’on est, d’où l’on parle, que naît ce besoin de récolter des signes : traces écrites, slogans affiches, images, etc. trouvés sur place. J’utilise ensuite ces différents signes ou symboles selon un sens déterminé au moment du montage. Dans le cadre de la réalisation de ce film, j’ai été amené à découvrir le sujet, plus au moment du montage que durant le tournage.

Propos recueillis par Bertrand Tappolet (Genève, juillet 2002)

Notes du réalisateur

Introduction

J’ai réalisé ce film dans le cadre de la cinquième édition du « Festival International de Théâtre pour le Développement » de Ouagadougou au Burkina Faso.

A cette occasion, une troupe suisse, le « Bazart Théâtre », a été invitée à présenter son spectacle et à animer un atelier d’initiation sur le jeu du clown.

Ce stage s’est déroulé cinq jours durant dans un stade de football de la ville. Les participants, tous de nationalités différentes, sont des comédiens issus de plusieurs troupes de théâtres se produisant durant ce festival. Boureima Diallo est le seul stagiaire qui ne fait pas partie d’une troupe et il est également l’unique représentant burkinabé du groupe.

Boureima Diallo

De culture traditionnelle peuhl et musulmane. Enfance passée au village avec son père, sa mère et des membres de sa famille. Ses études l’amènent progressivement en ville où il obtient son bac, puis jusqu’à la capitale Ouagadougou où il s’inscrit à l’Université en 1994. Titulaire d’une bourse d’études de l’Etat, il n’a pas pu, au risque de perdre ce soutien financier vitale, s’inscrire dans la faculté de son choix. En effet, alors qu’il désire poursuivre ses études en économie, l’administration le dirige en faculté de droit. Après trois ans d’essais infructueux dans cette branche, Boureima décide de saisir une opportunité et s’envole pour l’Angleterre.

Il quitte dès lors la figure du clown, ses études de droit, une émission hebdomadaire de sensibilisation qu’il animait en langue pheul à la radio et la chorale de l’église, pour se consacrer entièrement à une quête religieuse. Converti au protestantisme, Boureima Diallo devient en 2002 pasteur évangéliste au cœur d’une petite bourgade du Sud de l’Angleterre.

Tout récemment, au hasard d’une recherche sur le réseau, j’ai trouvé une publication de Boureima Diallo dans laquelle, il confesse les raisons de son adhésion au protestantisme. Quelques extraits de ce document étrange et empreint d’une humanité inquiète est reproduit ci-après :

«De l’Islam à Jésus » de Boureima Diallo (source : info@fulani-ministries):
« Selon l’histoire de Pulaaku (culture peulh) de la création de l’homme, Dieu en fait avait créé trois personnes au total. Il avait créé tout d’abord, deux personnes. Une personne blanche et une personne noire. Mais quand il observait ces personnes il n’était pas 100% satisfait! Par conséquent Dieu, caressant sa barbe, a décidé de créer une nouvelle personne. Une personne droite, et lui ont créé un Pullo ! (un peuhl) »
« Quand j’avais 5 ans, bien qu’elle ait été une musulmane, ma mère m’a amené à une campagne d’évangile qui s’est produite sur un marché près de notre village. Un grand miracle s’est produit ce jour, parce que quand le Pasteur a prié pour moi, j’ai commencé à marcher. Ma mère pleurait de joie. »
« Toutefois j’ai fait face à beaucoup d’opposition dans ma famille, en particulier de mon oncle (un chef de mosquée) qui a menacé de me tuer après la mort de mon père en 1988, si je ne renonçais pas à ma foi chrétienne. »
« J’ai prié beaucoup pour ma famille et mes proches jusqu’à ce que je sois arrivé à l’université où Dieu m’a défié d’arrêter mes études et d’être disponible pour lui et pour le salut de mes proches. »

La poliomyélite

Victime de cette terrible maladie à l’âge de trois ans, Boureima Diallo est resté paralysé pendant deux ans. Suite à une longue convalescence, il a perdu l’usage normal de sa jambe gauche.

Selon un rapport de l’OMS datant de 1998, révisé en avril 2002, cette maladie aurait pratiquement disparu de la planète aujourd’hui. Voici un extrait de ce rapport :
« La poliomyélite et ses symptômes : Il s’agit d’une maladie très infectieuse provoquée par un virus qui envahit le système nerveux et peut entraîner en quelques heures une paralysie totale. Il pénètre dans l’organisme par la bouche et se multiplie dans les intestins. On observe dans les symptômes initiaux de la fièvre, de la fatigue, des céphalées, des vomissements, une raideur de la nuque et des douleurs dans les membres. Une paralysie irréversible (des jambes en général) survient dans un cas sur 200. Entre 5 et 10 % des patients paralysés meurent lorsque leurs muscles respiratoires cessent de fonctionner.

Personnes exposées au risque de poliomyélite : La polio touche principalement les enfants de moins de cinq ans.

Prévention de la poliomyélite : Comme il n’existe pas de traitement, c’est la seule option. L’administration du vaccin à plusieurs reprises confère à l’enfant une protection à vie.

Nombre de cas : On a recensé en 2001 moins de 600 cas dans le monde. Cela représente une diminution de plus de 99,8 % par rapport aux 350 000 nouveaux cas qui, selon les estimations, se sont produits en 1988. Cette évolution est due à l’effort mondial entrepris pour éradiquer cette maladie. »

Le Burkina Faso

Le Burkina Faso, que l’on traduit communément en français par « le pays des hommes intègres », est un vaste plateau aride de 274’000 km2 comptant environ 12 millions d’habitants à l’orée du XXIe siècle.
Selon le dernier rapport annuel du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), le Burkina Faso est l’un des pays les plus déshérités au monde. Il se place ainsi au 169e rang sur un total de 173 Etats. Par comparaison, la Suisse pointe en 11e position. Ce classement a été établi en fonction de l’indicateur du développement humain.. C’est-à-dire, calculé sur la base de données économiques et sociales (PIB par habitant, espérance de vie, taux de scolarisation, etc.)

Colonie française dès 1898, le pays accède à l’indépendance en 1960 sous le nom de la Haute-Volta. Entre 1983 et 1987, cette terre devient le Burkina. Durant cette période, un Conseil National de la Révolution gouverne le pays sous la houlette du président Thomas Sankara. Assassiné en 1987, la mort de cet homme, et par la suite celle de la majorité de ses compagnons, mettra un terme à cette expérience révolutionnaire. Le capitaine Blaise Compaoré, qui avait déjà assuré le succès militaire lors des premières heures de la « révolution », lui succède à la présidence. Quinze ans plus tard, il est toujours le président de ce pays et est démocratiquement élu depuis 1991, année de la constitution de la IVème République.

Par rapport à ces événements de la vie politique du pays, « l’histoire » que tout le monde raconte là-bas est la suivante : Blaise Compaoré, a commandité l’assassinat de Thomas Sankara et de ses fidèles, afin de s’emparer du pouvoir. Au culte de Sankara devenu une icône symbolisant la justice, l’intégrité et la vérité répond comme en négatif la figure de Compaoré considéré comme « le traître, le lâche, le faux ».

Le Festival International de Théâtre pour le Développement

Bien que le Burkina Faso figure parmi les pays les plus pauvres de la planète, un nombre impressionnant de manifestations culturelles d’envergure internationale (théâtre, cinéma, musique, danse, artisanat) rythme la vie du citoyen burkinabé tout au long de l’année. L’événement qui rayonne sans doute le plus à travers le monde étant le Fespaco (Festival International du Cinéma et de la Télévision).

Depuis sa création en 1988, le Festival International de Théâtre pour le Développement (FITD) est dirigé par Prosper Kompaoré. Qui préside également aux destinées d’une troupe de théâtre basée à Ouagadougou, l’atelier théâtre burkinabé (ATB) qui pratique majoritairement du théâtre-forum ou théâtre dit de participation. Cette forme de théâtre à été théorisée dans les années soixante-dix par un auteur argentin, Augusto Boal. L’idée dominante de cette pensée est de redonner une place centrale au spectateur. Par exemple, à la suite d’une représentation, celui-ci est convié à monter sur scène et à rejouer des scènes. Les spectateurs-acteurs peuvent ainsi proposer des variantes de jeu à loisir. Le but de cette pratique théâtrale est d’informer et de sensibiliser la population-spectateur en fonction de divers thèmes comme : le planning familial, la gestion des ressources naturelles ou plus récemment, la lutte contre le sida, etc.

Extrait d’un interview de Prosper Kompaoré (directeur du FITD et de l’ATB) paru dans « L’écho du festival »:
« Il est intéressant de noter que la notion de développement n’est pas perçue de manière identique d’un peuple à l’autre, d’une culture à l’autre. Ce qui parait être l’urgence dans les pays en voie de développement et en Afrique en particulier, ne présente pas excatement la même urgence dans les pays d’Europe ou d’Amérique et vice versa. Il y a donc là une relativisation du contenu du développement. Le développement ça peut être aussi la joie de vivre, l’harmonie familiale, un certain équilibre intérieur de l’être. La notion de développement est plurielle »

Le Bazart Théâtre

Composé de Anne-Claude et Marion. Ce duo vit dans la région de Châtel-Saint-Denis en Suisse. Lors de notre première rencontre, Marion m’a confié qu’elle avait vécu près de dix au Nicaragua et qu’elle y avait enseigné l’art du théâtre de participation. Répondant à l’origine, à une demande de cette troupe désirant que je filme leur périple africain. Ce projet de film m’a tout de suite intéressé car j’étais alors en pleine lecture du « Théâtre de l’opprimé » d’Augusto Boal.

Extrait tiré de « Théâtre de l’opprimé » de Augusto Boal (éd. La découverte, Paris, 1977):
« A l’origine, le théâtre était chant dithyrambique : le peuple libre chantant à l’air libre. Le carnaval. La fête.
Puis les classes dominantes s’en emparèrent et y établirent leurs cloisons. Elle divisèrent d’abord le peuple, en séparant les acteurs des spectateurs, les gens qui agissent de ceux qui regardent. Finie la fête ! Ensuite elles distinguèrent, entre les acteurs, les protagonistes de la masse : alors commença l’endoctrinement coercitif.
Le peuple opprimé se libère. Il s’empare à nouveau du théâtre. Il faut abattre les cloisons. Le spectateur se met d’abord à jouer : théâtre invisible, théâtre forum, théâtre image, etc. Il faut ensuite éliminer l’appropriation privée des personnages par les acteurs individuels : système du joker ».

Le clown

Parallèlement, je découvris également un clown fameux, Jango Edwards, à qui j’emprunterais cette citation extraite de sa théorie du clown :

« Nous sommes tous nés clown, au pur sens du terme, avec la sagesse en moins. Le clown est innocent, curieux, naïf et il est l’essence même de la jeunesse. Pour devenir clown, on ne doit en fait rien apprendre de nouveau, mais plutôt se souvenir de tout ce que l’on a oublié ! »

Le clown n’a pas d’équivalent direct dans la culture de Boureima Diallo. A ses yeux, cette figure dessine une échappée belle vers l’imaginaire.

C.Cupelin, Genève, 2002